25 septembre 2008
Propos recueillis par Pierre Masse
Situé sous terre à la frontière francosuisse, le Grand collisionneur de hadrons (LHC) mis en marche par l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) a suscité beaucoup d'enthousiasme et de curiosité chez la communauté scientifique ces dernières semaines. Surnommée par certains la machine à recréer le big bang, l'installation doit prouver l'existence du boson de Higgs, qui est au coeur du modèle standard de la physique des particules élémentaires, mais qui n'a jamais été observé. Les chercheurs ont bon espoir que le LHC, conçu par des milliers de spécialistes internationaux depuis 14 ans au coût de 10 milliards de dollars, pourra élucider le caractère mystérieux de l'origine de l'univers. Nous avons demandé au professeur David Sénéchal, de la Faculté des sciences, de nous éclairer sur ce fantastique projet.
David Sénéchal : L'objectif des scientifiques est de faire exister, pendant des temps extrêmement courts, des particules très massives (c'est-à-dire des dizaines ou centaines de fois plus massives que le proton, ce qui est encore léger à l'échelle humaine) qui ont existé dans les premiers instants de l'univers après le big bang. En vertu de la relation bien connue entre masse et énergie (E=mc2), la création de ces particules requiert une énergie, qui est réunie au moment de la collision de deux protons de très haute énergie, se déplaçant à une vitesse très proche de celle de la lumière. L'accélérateur sert à amener deux faisceaux de protons courant en sens inverse à entrer en collision, de manière à causer plusieurs centaines de millions de collisions proton-proton par seconde.
D. Sénéchal : Premièrement, parce que c'est l'accélérateur le plus grand (environ 27 km de circonférence) qui existe. Il faut cependant dire qu'un accélérateur d'électrons – le LEP – était en service depuis 1989 dans le même tunnel et qu'on a simplement démantelé l'accélérateur d'électrons pour le remplacer par un accélérateur de protons de la même dimension – le LHC. Deuxièmement, parce que l'énergie des particules accélérées atteindra le record de 7 TeV (téra-électronvolt), ce qui veut dire environ 7000 fois l'énergie contenue dans la masse d'un proton. L'accélérateur tenant le record précédent, près de Chicago, avait une énergie environ sept fois moindre. En passant, «hadron» désigne toutes les particules qui interagissent via l'interaction nucléaire forte, ce qui comprend les protons mais pas les électrons. D'autre part, l'accélérateur pourra aussi accélérer des ions, pas uniquement des protons, dans le but de recréer les conditions extrêmes de la matière nucléaire peu après le big bang. À l'échelle humaine, 7 TeV représente l'énergie d'un moustique en vol, ce qui peut sembler très petit, mais pour une particule subatomique, c'est énorme.
D. Sénéchal : La chose la plus attendue est un signe de l'existence de la particule de Higgs. Cette particule hypothétique est un élément central de la théorie des interactions fondamentales appelée «modèle standard des particules élémentaires», développée dans les années 70. La particule de Higgs est un élément clé sans lequel on ne sait pas vraiment comment expliquer l'interaction dite faible. Cette interaction faible joue un rôle capital, par exemple, dans la production d'énergie dans les étoiles. La particule de Higgs nous aide aussi à comprendre l'existence de la masse des particules élémentaires. C'est donc important d'un point de vue fondamental. Mais les accélérateurs précédents n'avaient pas l'énergie qu'il fallait pour créer cette particule de Higgs, selon la théorie.
D. Sénéchal : La seule question éthique que je vois est d'ordre économique, car ces expériences sont très coûteuses. Les Américains ont eu un projet encore plus gros, le SSC, qui a démarré à la fin des années 80, mais le projet a été annulé vers 1994. Les peurs obscures au sujet de trous noirs ou autres objets exotiques qui pourraient être produits accidentellement lors de l'expérience et avaler la Terre ou le système solaire en entier ne sont que sensationnalisme et n'ont pas de fondement scientifique sérieux. Il est dommage que les médias aient mis l'accent sur ces absurdités. C'est sans doute parce que les objectifs véritables de l'instrument sont plus difficiles à expliquer. Pour ce qui est des retombées, elles ne sont pas immédiates, mais le CERN répond rapidement que c'est lui qui a inventé, en 1989, le World Wide Web (initialement pour un usage interne) et que les retombées de cette invention se chiffrent en milliards de dollars aujourd'hui.
25 septembre 2008 (no 4)
2 juillet 2009 (no 20)
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